mardi 25 juin 2013

L'inattendu



L'INATTENDU - CHARLES JULIET

Quatrième de couverture: C'est un petit paysan, un enfant sensible, attachant. Il découvre le monde des adultes, la vie, la peur, la tendresse. Il se livre à ses premières expériences, douces-amères ou tragiques.
Enfant de troupe, il connaît la solitude, l'ennui, la cruauté de certains chefs, mais aussi l'amitié.
Plus tard, avec le retour à la vie civile, c'est une autre solitude, une autre forme d'ennui et de désespoir.
Mais il y aura cette ouverture, cette lumière possible, que suggère une rencontre inattendue: l'épilogue, longtemps après, de L'année de l'éveil.
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J'ai voulu lire l'Inattendu parce qu'il y a deux ans, je suis tombée amoureuse de Charles Juliet en lisant Lambeaux, qui fait certainement partie de mes ouvrages préférés, et qui m'a secouée, émue et apprit dès les premières phrases.
En commençant l'Inattendu, j'ai passé peut être les cinquante premières pages à être déçue. Sans doute parce que j'en attendait énormément, je m'attendais à être secouée et emportée dès le départ. Au contraire, ça commence de manière assez simple, on a la description de la vie du petit paysan. En effet, ça a un côté émouvant, mais ça ressemble à la plupart des romans d'initiation qui peuvent se lire. L'écriture est simple, ça se lit très vite, et franchement ça prendre une forme de récit assez banale qui m'a personnellement déçue.
Et puis les différentes parties se succèdent, et d'une partie à l'autre, Juliet change la narration en parlant du "il" au "je". Dans la première partie le personnage principal est constamment appelé "l'enfant", ce qui donne un sentiment étrange mais intriguant. Et puis on plonge dans le "je", et on découvre le personnage de plus en plus près - c'est un effet de narration très intéressant et agréable.
Ce qui a commencé à m'émouvoir au bout d'une cinquantaine de pages, c'est qu'ayant lu Lambeaux qui est un roman autobiographique, je connais un peu les morceaux d'histoire importants et qui posaient problème dans la vie de Juliet (apprendre que sa mère est en fait sa mère adoptive à la mort de sa mère naturelle, etc). Or dans L'inattendu, on retrouve ces choses, qui arrivent précisément à l'enfant. C'est cependant évoqué de manière évasive, rapide et timide, et ce que j'ai trouvé beau (mais peut être est-ce mon imagination qui s'emballe), c'est qu'il a écrit l'Inattendu avant d'écrire Lambeaux et qu'en lisant la dernière partie de Lambeaux qui parle de la difficulté déchirante d'écrire, de s'écrire, on peut tout à fait s'imaginer que dans l'Inattendu, il lutte terriblement parce qu'il a besoin de parler de ça mais qu'il n'y arrive pas parce qu'il n'est pas prêt, pas encore. Je trouve ça sublime, ça a fait renaître en moi ce que Lambeaux a secoué à l'époque, de voir cet auteur qui se fait pudique à essayer d'explorer à travers une tierce personne ce qu'il ne peut pas encore extérioriser.

CITATIONS:

"En un sursaut de volonté, je me reprends. Et dominant mon affolement, refusant de mourir, je me bats, lutte, effectue sans trop de hâte mes mouvements, nage avec décision et vigueur.
Le soir, durant le repas, j'ai du mal à contenir mon allégresse, et sens que je pourrais faire un peu n'importe quoi. Par exemple, sauter sur la table, me dresser de toute ma hauteur et leur révéler d'une voix nette ce que j'ai eu l'audace et le courage d'accomplir. Mais à ma joie se mêle de la colère. Car ils continuent de me parler comme avant. Ils n'ont pas perçu que je suis devenu quelqu'un d'autre."

"Avant que tu ne partes, je veux également te dire ceci: il aurait suffi d'un rien pour faire de toi un type exemplaire. Au lieu de ça, tu es un petit voyou. Mais à tout bien considérer, je ne veux pas m'en plaindre, car il n'y a qu'avec des gars comme toi qu'on peut arriver à quelque chose. Les autres, ça ne vaut rien. C'est de la merde. Toi, tu es une bonne petite graine de révolté. Tu as de l'orgueil, de la tripe, tout ce qu'il faut pour devenir un vaillant officier. Quand tu auras passé quelques mois sous ma coupe, tu verras, ce sera parfait. Je t'aurai appris combien il est exaltant d'être un chef et d'exercer un commandement. Tu vois, mon petit, les homes, ce ne sont rien d'autre que des marionnettes. Dès que tu as un peu de psychologie, tu les manoeuvres comme tu veux. Tu joues sur la bêtise, sur l'amour-propre, sur le désir de paraître, tu enrobes tout ça avec un peu de flatterie, et ça marche à tout coup."

BILAN:

14/20
Certes, j'ai mis 19 à Lambeaux et 14 à l'Inattendu: ça fait une certaine chute de note. Mais c'est principalement parce que le début m'a vraiment déçue, principalement parce que j'avais de grandes attentes, que je me souviens de manière vivace du bouleversement qu'a produit Lambeaux en moi, et que je n'ai pas retrouvé d'abord ce que je cherchais. Attention: je ne dis pas que je ne cherche qu'à ressentir des émotions quand je lis un livre. Mais en l'occurrence la prose de Juliet me paraissait un peu trop simple pour aborder la description d'une vie paysanne, d'un roman d'initiation. J'ai très vite compris que je me trompais, et qu'au contraire, l'écriture de Juliet est tout en subtilité et surtout, tout en délicatesse. La dernière partie du livre, qui s'appelle justement l'Inattendu, touche à l'humble sublime. On en ressort secoué, avec une énorme boule dans le coeur, le corps, la gorge - peut être même à deux doigts de pleurer.
En bref, je le recommande chaudement (je recommande même de lire Lambeaux puis de lire l'Inattendu), et de mon côté je me suis empressée d'ajouter tout le reste de la bibliographie de Charles Juliet à ma wish list!

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3ème lecture pour le challenge



samedi 15 juin 2013

L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche

L'INGENIEUX HIDALGO DON QUICHOTTE DE LA MANCHE (1 et 2)
J'ai pris le parti de ne pas m'affoler sur le challenge ABC de cette année. C'est mon premier, et je m'y suis surtout inscrite pour me contraindre (ce n'est pas le mot exact étant donné que j'y prend plaisir, mais enfin) à lire des gros classiques qui me faisaient peur, ou que je n'ai pas eu le temps de lire pendant mes années prépas.
Donc, Don Quichotte, monument de la littérature, inspiration de nombreuses peintures et mythe, faisait partie de ma liste. Je voulais le lire depuis bien longtemps, parce que, comme beaucoup de gens, l'image d'un homme assez perdu dans son imaginaire pour attaquer des moulins en hurlant que ce sont des géants me séduisait beaucoup.
Est-ce que j'ai vraiment besoin de présenter l'oeuvre de Cervantes? Don Quichotte est l'habitant aisé d'une petite ville d'Espagne qui lit trop de romans de chevalerie. Il est dans la quarante/cinquantaine, n'est pas marié, et décide un jour de s'établir chevalier errant et de partir sur les routes à la recherche d'aventures avec un paysan de son village, Sancho Panza. Sancho est d'abord présenté comme un idiot gros plein de soupe et grossier, Don Quichotte comme un illuminé fini, un pauvre type qui n'a pas vécu grand chose et du coup délire en prenant ses rêves pour réalité. Les aventures qu'ils vivent sont fausses et grotesque, le ton est tout à fait à la farce.
Et c'est principalement pour ça, en fait, que j'ai eu beaucoup de mal à aller jusqu'au bout du tome 1. Parce que je m'attendais à quelque chose de poétique, une fresque pathétique mais sublime d'un fou rêveur qui parcoure l'Espagne et s'invente mille vie. Je vous spoile la chose tout de suite: l'épisode des moulins fait à peu près cinq lignes sur un tome de 577 pages. J'ai été déçue pendant un bon moment, et je me suis un peu forcée à continuer d'une part parce que je n'aime pas abandonner les livres en cours de route, d'autre part parce qu'il me fallait trouver une raison à tous les mythes et toutes les fascinations que ce roman a pu déclencher. J'ai donc avancé, et je suis arrivée vers le milieu/fin du tome 1, où commencent à se raconter de longues histoires dans la bouche d'autres personnages que l'on rencontre, qui déversent leurs malheurs puis que l'on quitte. Et c'est un peu devenu comme les Mille et une nuits, associé au sous texte qui naît peu à peu du profond pathétique de Don Quichotte qui finalement amène l'attendrissement aussi bien que le rire (parce que oui: on rit). J'ai continué donc, plus pour continuer à lire les différentes histoires des différents figurants que pour suivre le périple de Don Quichotte et de son fidèle écuyer. Et c'est comme ça que j'en suis arrivée à finir, après de biens longs jours, le tome 1.
Le tome 2, je trouve, devient plus subtil (ou alors c'est moi qui suit devenue plus subtile à force de fréquenter les personnages et la plume, je ne sais pas). Est donnée aux personnages une profondeur supplémentaire. Don Quichotte qui n'était qu'un pauvre illuminé grotesque et pathétique se voit renforcer son caractère extrêmement sensé. Oui, il croit qu'il est renommé par ses exploits fantastiques et qu'il a vu mille merveilles au fond d'une caverne, mais il tient aussi des discours presque philosophiques, emplis de sagesse - et le pathétique et l'attendrissement qu'il provoque ne fait que s'accentuer vers la fin. Don Quichotte n'est qu'un avide lecteur qui cherche de plus en plus d'histoire à vivre, et qui à force, en crée par lui même. Sancho, lui, enfile les proverbes dans ses phrases jusqu'à ce qu'ils n'aient plus l'air d'avoir aucun sens, mais gouverne ce qu'il croit être un archipel avec mesure, ne s'avachit pas dans l'excès, n'abandonne pas son maître malgré les aventures malheureuses d'où il sort souvent abîmé où il le traîne, se révèle ne pas être si glouton que ça - suit son maître dans sa folie, montre toujours des signes de bêtises, mais reste loyal et parfait dans l'archétype du valet (bien qu'il ne soit pas que ça). Bien sûr la sottise et la farce est toujours présente, mais elle prend un tour encore plus ambigu. Maintenant, j'aimerais bien lire des essais sur Don Quichotte. Je crois qu'il s'agit d'un tel monument de la littérature qu'il est difficile de ne pas le lire s'en s'intéresser à tout ce qui s'est développé autour. Ca donnera à la chose une dimension bien plus profonde (puisqu'après tout, ma critique de gamine de vingt et un an n'est là que pour me rappeler ce que j'en pensais dans vingt ans, et aussi pour éventuellement aiguiller certains d'entre vous, si possible, mais sans autre prétention aucune).

Je vais donc enchaîner mon challenge ABC 2013 sur L'inattendu, de Charles Juliet. Bonnes lectures à tous!

CITATIONS (il n'y en a qu'une seule d'abord parce que je n'en ai pas beaucoup - j'ai eu un certain mal avec la plume de Cervantes - et parce que les autres spoilent un peu trop à mon goût):

"Le jour se leva, plus tôt qu'on ne l'attendait, comme si le soleil n'avait pas voulu manquer le spectacle de ce sacrifice."

BILAN:

1. 13/20 - 2. 14/20
Il est dit de Cervantes qu'il a écrit Don Quichotte suite aux échecs répétés de ses précédents manuscrits, frustré de voir que les romans de chevalerie se publiaient comme des petits pains à son époque. Il a d'une certaine manière détourné la tendance. Il est également dit qu'il détestait Don Quichotte. Pour ma part, j'ai lu le deuxième tome de Don Quichotte de la même manière que j'ai pu lire les Trois Mousquetaires quand j'étais plus jeune: d'une traite, sans chercher l'implicite plus avant. Je me suis attachée aux personnages peu à peu (assez lentement étant donné le mal que j'ai eu à lire le tome 1) et j'ai refermé le livre avec une grande tristesse de m'en séparer, surtout sur cette note là que je ne vous dévoilerai pas.
Si vous avez, donc, le courage de vous lancer dans ces deux tomes-géants de la littérature, je vous y encourage. Ayez cependant conscience, en ouvrant le premier tome, que vous serez peut être décontenancés par un style d'écriture très particulier et très farcesque beaucoup plus que poétique, qu'on sent venu d'une époque lointaine et qui pourtant est terriblement moderne.

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2ème lecture pour le challenge